Formation professionnelle : quelles solutions face à l’urgence ?
Quels sont les leviers d’une stratégie de formation porteuse pour l’emploi et la compétitivité ? A l’aube de la Réforme de la Formation Professionnelle, cette question au cœur des enjeux économiques actuels a constitué le fil rouge de la première Matinale de la Formation Professionnelle, organisée le 4 avril à la Maison de la Chimie de Paris, en partenariat avec le Groupe PSC et Didaxis. Retour sur une journée qui, outre poser les enjeux de la réforme, a été riche en solutions concrètes.
« La formation professionnelle, telle qu’elle a été conçue en 1971, à une époque de plein-emploi, mérite d’être totalement repensée, malgré les craintes ou les réticences que cela inspire (…). Nous devons rendre nos formations plus agiles, plus accessibles, plus transparentes et plus efficaces. (…) Nous devons rendre [nos concitoyens] acteurs de leur formation car ils sont les mieux à même de connaître leurs appétences et leurs envies » Le ton est donné. En ouverture de la première Matinale de la Formation Professionnelle, le 4 avril à la Maison de la Chimie de Paris, Christophe Castaner, Secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, a insisté sur l’urgence dans laquelle s’inscrit la Réforme, dont les détails ont été présentés le 5 mars par Muriel Pénicaud, Ministre du Travail.
Provoquer un “Big-Bang“…
Parmi les plus importantes mesures du texte que la Ministre a elle-même qualifié de « Big Bang » : une plus grande valorisation de l’apprentissage, le passage du CPF en euro, le renforcement des droits à la formation des personnes les moins qualifiées, la co-construction des référentiels de formation par les branches professionnelles et l’Education nationale, et le recentrage des missions des Opca vers le conseil et l’accompagnement des entreprises dans l’élaboration des plans de formation. « Pour lutter contre le chômage de masse de notre pays, qui compte un million de jeunes sans qualification et un million de demandeurs d’emploi de faible qualification, le plan d’investissement dans les compétences permettra de former les personnes les plus éloignées de l’emploi », a rappelé Thierry Michels, député du Bas-Rhin, membre du groupe de travail partisan sur la formation professionnelle et référent de la Commission des Affaires sociales auprès de l’Afpa.
… pour conduire l’économie et l’emploi dans l’ère numérique…
En tête des enjeux de la Réforme : le passage réussi de la France à l’ère numérique. Un cap nécessaire pour les entreprises, quels que soient leur taille et leur secteur, qui suppose une évolution des compétences, celle-ci n’allant pas sans la sauvegarde des emplois : « Dans le contexte d’automatisation actuel, 10 % des emplois présentent une grande vulnérabilité et 50 % devraient se transformer totalement dans les quinze prochaines années. (…) Ces transformations concernent toute la population : à la fois les personnes dans l’emploi, et celles qui en sont les plus éloignées (jeunes, seniors, femmes, personnes en situation de handicap) », a averti Christophe Castener.
… en s’appuyant sur une coopération renforcée entre les acteurs…
Dans ce monde économique en perpétuelle mutation, « la formation ne doit plus correspondre à un emploi strictement défini, mais à une compétence permettant à chacun d’évoluer tout au long de sa carrière. L’évolution du CPF découle de cette idée. (…) », a insisté Sylvain Maillard, Député de Paris et Membre de la Commission des Affaires Sociales. Pour lui, la réussite de la mise en place de la Réforme repose sur une réelle implication de tous les acteurs économiques, qui auront pour mission de faire vivre les outils, de les développer et d’innover pour la formation et l’emploi : « Nous attendons beaucoup des branches et des entreprises pour mener ce travail d’anticipation et faire monter leurs salariés en compétence. En tant que parlementaires, nous avons aussi pour responsabilité d’anticiper ces évolutions en validant plus rapidement certaines formations. Nous resterons donc à l’écoute des professionnels durant toute la mandature pour adapter le système à l’épreuve de la réalité et pour rendre les financements plus fluides. Mais j’insiste sur le fait que nous aurons besoin des acteurs de terrain dans cet objectif ».
En écho, Florence Poivey présidente Fédération de la plasturgie, présidente de la commission Formation et membre Conseil exécutif Medef, a souligné que « les branches et les territoires devront impérativement renforcer leur expertise et leur maîtrise des besoins, à la fois en qualité de compétences et de métiers, mais aussi en quantité (…). Nos instances paritaires, généralement des CPNE, devraient sérieusement devenir des leviers politiques de formation, d’évolution et d’anticipation des nouveaux métiers dans les branches ». Elle a également émis la proposition de « sortir de [la] logique de silo et de branche, qui isole les différents acteurs par méconnaissance réciproque des données de chacun. Les partenaires sociaux doivent assumer la mise au collectif de toutes les données pour que nous assurions ensuite une diffusion pertinente jusque dans chaque entreprise et jusqu’à chaque salarié, selon l’idée que la formation est un pas dans un parcours professionnel, et que les salariés doivent avoir à leur disposition des informations pertinentes ».
Un fonctionnement auquel Pôle emploi adhère, générant une émulation entre les acteurs autour de projets visant notamment à avoir et diffuser une vision prospective des besoins. Audrey Pérocheau, directrice du programme Formation à la direction générale de Pôle emploi, explique : « Pôle emploi s’inscrit dans une démarche de complémentarité et de partenariat (…). Pour mieux connaître et anticiper les besoins de compétences et les métiers dans les bassins d’emploi, nous proposons depuis la fin d’année 2017 l’outil Forma’Diag sur le site pole-emploi.org qui, pour la première fois, transmet des informations sur le taux de retour à l’emploi des formations dans chaque bassin d’emploi, et les besoins de recrutements à un an à partir de plusieurs études, et à cinq ans à partir des éléments prospectifs de la Dares. Nous partageons cet outil avec les Opca, et discutons avec un certain nombre d’entre eux pour créer des synergies et agréger diverses données dans l’objectif de donner aux décideurs des achats de formation la vision la plus globale possible des besoins de formation à court terme des chefs d’entreprise. » Claude Seibel, ancien directeur de la Dares, et ancien président du groupe Prospective des métiers et qualifications, précise : « Le Conseil d’orientation de l’emploi vient de publier trois rapports qui expliquent, métier par métier, les tâches prochainement automatisées. Ils donnent des pistes à tous les organismes de formation. »
… et une innovation efficace…
En parallèle émergent de toutes parts de nouveaux dispositifs, pour traduire les besoins actuels et futurs des entreprises en solutions de formation et de recrutement à court et à plus long termes. A l’image du projet « Proch’emploi », expérimenté dans les Hauts-de-France, en partenariat avec Pôle emploi. Catherine Fournier, sénatrice du Pas-de-Calais, rapporteure sur l’apprentissage et la formation professionnelle, explique : « Cette plateforme a pour vocation de porter deux mesures : le Pass emploi et le Pass formation. Le Pass formation est destiné aux personnes en recherche d’emploi ou ayant un projet d’entreprise. Sous la forme d’un chèque, nous leur permettons d’accéder rapidement à une formation correspondant à des emplois tendus ou effectifs dans le territoire, ou à une formation s’inscrivant dans un projet de création d’entreprise. Le Pass formation vient donc en complément des aides de l’État, et se voit couronné de succès puisqu’il atteint un taux de 77 % de reprise d’emploi, contre 30 % au niveau national. Le deuxième volet de notre dispositif est le Pass emploi au service des entreprises. L’entreprise voulant embaucher passe une convention avec la Région et peut ensuite effectuer elle-même une formation en bénéficiant de subventions si c’est un CDI à la clé. Le Pass emploi et le Pass formation coûtent 2 600 euros à la Région par bénéficiaire. »
Reste que les populations les moins qualifiées – dont notamment les décrocheurs – qui auraient le plus besoin de formations ont paradoxalement moins accès à l’information et aux dispositifs, cela en dépit des efforts de Pôle emploi, engagé à « faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin ».
D’où l’idée d’un « droit à la deuxième chance » expérimenté dans le cadre de la Chaire Transition Démographique Transition Economique, à laquelle appartient Nathalie Chusseau, professeure d’économie à l’Université de Lille : « Pour [les décrocheurs], dont la population augmente de 130 000 et 140 000 jeunes par an, nous avons inventé une sorte de droit de tirage de la formation professionnelle sous la forme d’un droit à une deuxième chance, qui figurera sur le compte personnel d’activité. Chacun pourrait ainsi, au cours de sa vie active, accéder à une formation qualifiante d’une durée comprise entre quatre mois et un an. Puis, nous avons examiné les impacts macro-économiques d’une telle mesure en termes de production. Les retombées sont très prometteuses. Un accès de six mois à une formation qualifiante augmente la production d’un peu plus de 3 %, tandis qu’un accès à une formation de un an augmente la production d’un peu plus de 4 %. Il est donc fondamental de proposer des dispositifs de formation professionnelle intégrant les différents partenaires. »
… en faveur d’une flexisécurité pertinente
Nathalie Chusseau souligne néanmoins que « les chefs d’entreprise connaissent pertinemment leurs besoins à court terme, mais peine à les déterminer à long terme… » Dans ce contexte, la recherche d’innovations qui allieraient durablement sécurisation des parcours et solutions RH flexibles pour l’entreprise, représente un enjeu économique majeur.
Ce à quoi, Philippe Bazin, président fondateur du Groupe PSC et créateur du Synattep (Syndicat des Entreprises de travail à temps partagé), répond depuis 2011 par le CDI PSC . « Nous embauchons uniquement des demandeurs d’emploi, des personnes en situation de handicap, des jeunes et des seniors : des personnes qui, de par la faiblesse de leurs compétences ou de leurs qualifications, n’ont pas accès à l’emploi durable. Nous les recrutons en CDI avec des garanties collectives importantes, puis les mettons à l’emploi auprès de nos entreprises partenaires pendant plusieurs années – jusqu’à 5 ans. Comme l’employabilité se renforce dans le temps, nous favorisons pour ces personnes des missions de longue durée comprenant de nombreuses formations de base (maîtrise du français, capacité à se présenter en entretien d’embauche). Les formations réalisées avec nos partenaires clients sont généralement qualifiantes, débouchant sur des CQP de 120 ou de 240 heures, et nous doublons les heures du CPF. En six ans, PSC a mis à l’emploi plus de 1200 personnes ; 80 % d’entre elles avaient un profil d’ouvrier ou de manutentionnaire d’industrie. Comme il est beaucoup plus difficile d’organiser la formation d’opérateurs de production que de personnels de bureaux, dont le travail peut être réparti sur les autres collaborateurs, nous avons instauré une solution innovante : nous constituons des équipes polyvalentes en production pour remplacer nos salariés envoyés en formation, ce qui permet de pallier les absences sans dommage pour l’entreprise. Au bilan : 70% de nos salariés sont embauchés par nos clients au terme des années de mise à disposition ».
Cette innovation, qui répond autant aux besoins structurels des entreprises qu’à la nécessité de sécuriser les parcours professionnels, est aujourd’hui déployée à grande échelle par les membres engagés au sein du Synattep : « Nous poursuivons l’objectif de remettre à l’emploi 200 000 ou 300 000 personnes très rapidement, avec des formations prises en charge par nos entreprises et nos partenaires clients. Cette solution permettrait vraiment de réduire une partie du chômage de masse », a souligné Philippe Bazin.